L'heure du goûter approche et malgré l'irresponsabilité me caractérisant, j'avais été sage et patient. Trépignant dans des râlements sourds laissant mon ennui s'accentuer un peu plus chaque minute, voir chaque seconde, j'avais tenu bon en regardant les aiguilles se mouvoir peu à peu jusqu'au moment fatidique. Si les enfants pensent alors aux tartines et au chocolat chaud, à ce délicieux repas de sucre et d'abondance qui les empêcheront de manger la soupe du dîner, c'est un tout autre goûter qui est le mien. Escaladant le dossier de mon canapé en me laissant choir sur le sol avant de me relever comme si rien ne venait de se passer, je me hâtais dans une marche absurde faites de petits pas glissés vers mon autre cuisine. Pas celle où je cuisinais, non, mais celle où je cuisine. Nuance. Dès lors, j'attrape cette plate bassine et observe la plaque translucide, laissant une transparence splendide faisant ressortir le rouge du récipient, extirpant un rire malsain significatif du bonheur idiot de la réussite. De retour dans mon salon, je m'armais de ce petit marteau de bois bien préparé et en évidence sur la table pour fracasser sauvagement, avec ma grâce naturelle, cette perfection et la réduire en gros cristaux jaillissant de partout et s'évadant sans l'ombre d'une quelconque once de culpabilité. Mais aucun n'en réchappera. Non, s'il y avait bien une chose sur laquelle je ne plaisantais pas, c'était mon gagne-pain. Je regrettais bien assez l'opulence et le faste des palais royaux pour perdre un simple et ridicule dollar dans cette nouvelle vie de pauvreté. Malgré tout, ce fléau de jeunesse qu'on appelle communément la flemme était bien présente et personne n'était là pour m'engueuler de l'état bordélique de mon salon, alors bon, autant goûter tout de suite. Je sortais ma pipe en verre bien planquée dans le revers de mon gilet gris, brisais quelques gros cristaux pour les diminuer à la taille adéquate et le repas pouvait alors s'amorcer dans ce son crépitant et cette épaisse fumée chimique.
Une bouffée et le voyage démarre pour les prochaines heures. Mon esprit s'embrume et mes idées s'éclaircissent. L'éclat de ma peau s'éteint et fait jaillir la rougeur des vaisseaux globuleux qui me servent de yeux. Chacun son goûter. Terrible habitude qui se détache de cette nouvelle existence, si la première était armée d'alchimie, c'est bien la chimie qui a prit le pas ici. Cette dure réalité qui tabasse ma raison peinant encore à rester lucide plus de quelques heures. Dès lors, une expédition s'impose, voir le monde, voir du monde surtout. Fuir cet oppressant salon qui tourne et se rapproche avant de s'éloigner encore et de recommencer toujours. Déguerpir de ce son assourdissant que font les aiguilles qui bougent doucement. Alors que le bien-être de mon chez moi s'égare, j'enfile mes chaussures et attrape mon gros manteau. C'est l'hiver dehors, et le froid fait bien plus que seulement frapper à la porte. Je résiste pas plus longtemps à la prise de ma première clope et je fume jouant avec la fumée en empressant le pas pour arriver rapidement dans le centre de la ville. La légèreté de la drogue me permet d'abattre ma folie sans l'exprimer par les excès de violence du sombre fou qu'il m'arrive d'être. L'amour avant tout, la paix et l'immense joie de se sentir surhomme. Tout ce bien-être qui s'active et qui fait oublier, à chaque prise, l'enfer que c'est de redescendre dans les tréfonds de la réalité.
Mon esprit divague et mes pensées sont aussi éphémères que mes cigarettes qui s'enchaînent sans repos. Je déambule sur les trottoirs de la ville, d'abord sautant à pied joint sur les carreaux des pavés et ce, sans jamais toucher la ligne de démarcation. Puis, dans un second temps, je marche sur ce fil imaginaire qui semble m'offrir la mort à la moindre chute. Bien sûr, concentré comme un étudiant en partiel, je ne regarde pas ce qui se passe autour de moi. Enfermé dans ma bulle, dans ce monde gris qui n'a de cesse de se mouvoir sans mon accord, je vis mon existence comme si j'étais une putain de tornade. Oui, une tornade. Dès lors, mes bras s'activent et se tendent de tout leur long, je commence à planer et à zigzaguer un peu avant de faire des premiers petits tours sur moi-même. Je trébuche un peu parfois mais je me rattrape toujours et la petite tornade est maintenant devenue grande. Ainsi, me voilà, en pleine rue, tournant sur moi-même et avançant sans faire attention au moindre obstacle se trouvant devant moi. Je ferme rapidement les yeux même, ne supportant pas voir mon environnement tourner autant. Malgré tout, je continue ma course et telle la véritable tornade, j'emporterais tout ce qui se trouvera sur ma route.
Ce qui devait arriver, arriva. À peine cinquante mètres de tempête et voilà mon existence de tornade stoppée dans son élan juvénile. Un obstacle s'est mit sur ma route et bien que le choc fut d'une certaine violence, je me retrouve au sol sans vraiment comprendre, gardant les yeux fermés, restant dans mon personnage. Oui, je suis une tornade, un point c'est tout.« Excusez-moi, je suis une tornade. »
Dans un ton déconcertant par son absurde sérieux et son risible sens, j'ouvre un œil seulement, déformant mon visage comme tous ces gens qui ne savent pas faire de clin d'oeil. Ce dernier symbolise l'oeil du cyclope, reprit pour le cyclone, utilisé dans l'intérêt de tous pour ma tornade. Je repère alors le jeune homme qui a entravé ma course et je me demande bien comme il va réagir. C'est pas tous les jours qu'on se fait percuter de plein fouet par une tornade.