Curer un curé + Chess&Alice.

c'est un ivrogne, on le reconnaît rien qu'à sa trogne

How long is forever ?
Sometimes, just one second.

Pour le coup, elle était fière d’elle. Après une énième chamaillerie avec Alek – au sujet de la voiture qu’elle avait encore une fois endommagée, sûrement – elle avait quitté l’appartement. Mais elle n’était pas fière pour ça. Elle était fière parce qu’elle avait pris ses clés et tous les doubles avec elle, et qu’elle avait bien pris soin de fermer à double-tour derrière elle. Elle avait enfermé son colocataire parce qu’il lui avait fait la morale sur le fait qu’elle ne pouvait pas conduire si elle n’avait pas son permis. Et accessoirement aussi parce qu’il avait refusé de lui donner quoi que ce soit pour l’argent de poche. Oui, même si elle avait fait des pâtes pour ce soir. Et même si elle avait fait sa part de vaisselle. Tout ça sous prétexte qu’elle avait descendu trop vite l’argent qu’il lui avait donné la veille. Et que c’était la fin du mois. Ce n’était pas la faute d’Alice si personne ne voulait d’elle pour du babysitting. Ou pour n’importe quel autre poste d’ailleurs. Elle était condamnée à être entretenue pour le restant de ses jours. Mais ce soir, la dispute était allée plus loin. Alek l’avait clairement foutue à la porte, en lui disant qu’elle n’avait qu’à emmerder l’un de ses déchets de potes. Et c’était pour cette raison qu’elle avait pris toutes les clés. Pour lui faire passer la leçon. On ne mettait pas Alice dehors. Elle était la tique qui s’accroche, qui pompe le sang et laisse tout plein de saletés, et qu’il est difficile de faire partir. Une fois qu’elle avait élu domicile quelque part, c’était sa maison et on ne la virait pas si facilement. Pas sans en avoir bavé un peu d’abord.
Bref, c’était une bonne occasion d’arroser l’événement et de se bourrer la gueule. Elle n’avait pas besoin d’occasion Alice, mais si on le lui reprochait, elle pourrait se justifier. Le pompon, ce serait qu’elle perde toutes les clés parce qu’elle serait trop torchée pour faire attention à ses affaires. Elle envoyait un message à son colocataire, histoire de le laisser ruminer toute la soirée et se demander par quelle fenêtre il sortirait demain matin pour aller au travail. Heureusement qu’ils n’habitaient qu’au premier étage.

Bref, Alice avait encore une fois vite fait d’oublier son colocataire et ses caprices. Il lui suffisait de pousser la porte du Rabbit Hole ou de n’importe quel autre bar pour ça. C’était comme si elle entrait dans une cuisine qui puait la bonne bouffe quand elle avait faim. Elle oubliait tout le reste pour se concentrer sur son appétit. Elle s’affalait sur le premier tabouret libre contre le comptoir et n’attendit pas que le serveur lui demande ce qu’elle voulait pour passer sa commande. Il avait l’habitude. Trente secondes plus tard, elle avait déjà son verre de whisky sec. Pas de diluant, ce serait perdre le goût du déboucheur de canalisation. Elle avait dû s’en enfiler cinq ou six des verres comme ça, ce soir-là. Elle n’était pas encore raide morte, mais ça suffisait pour qu’elle sorte encore plus d’âneries par heure qu’en temps normal.
Et quand même, avec le monde qu’il y avait un samedi soir, commander six verres l’avait fait traîner un bon moment. C’était pour ça qu’elle n’avait pas pu en commander plus ce soir-là. L’heure de la fermeture était déjà arrivée. Et même si Alice râlait, on lui balançait qu’elle n’avait qu’à arriver plus tôt la prochaine fois. Elle racontait qu’il n’y aurait pas de prochaine fois, ça faisait partie de son scandale. Mais tout le monde ici savait qu’elle reviendrait bien avant samedi prochain, c’était plus fort qu’elle.

Mine de rien, elle avait quand même eu du mal à rentrer. Et même si elle estimait n’avoir pas assez bu ce soir, elle s’était arrêtée une fois devant la pharmacie pour faire ses besoins dans les plantes. Elles ne demandaient qu’à être arrosées de toute façon. Depuis son expérience avec le Pays des Merveilles, Alice avait un peu de mal avec les fleurs. Elle prétendait n’avoir jamais eu la main verte, mais ça venait d’autre chose que d’une capacité ou non de prendre soin des plantes. Sans compter qu’elle avait la tête qui tournait et l’estomac qui lui promettait une belle chiasse le lendemain. Ouais, elle n’était pas encore sobre, mais il y avait du progrès. Il y a eu des soirs pires que ça.
Elle arrivait tout juste devant la porte de l’immeuble quand elle percutait une silhouette. Chess, putain. Celle qui l’emmerdait à toujours renverser les bouteilles qu’elle posait sur la table basse, quand elle ne les vidait pas directement dans l’évier pour remplacer le contenu de celles-ci par l’eau du robinet. « Eh ouais j’ai bu ! » Elle levait en l’air un verre qu’elle n’avait plus pour le prouver. « Dommage pour toi, personne ne m’en a empêchée. » Elle vint s’applatir sur les marches du perron, il fallait qu’elle appuie sa tête quelque part. « Et maintenant au lit ! Je ne t’invite pas à rentrer, » de toute façon tu as l’air de voir mon appartement comme un hôtel, « je veux voir Alek faire le mur demain matin. Bisou, bonne nuit. »