J'avais l'impression qu'on m'avait déchiré en deux. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Je dédiais ma vie à cette ville, je dédiais ma vie à ce rôle qui m'incombait. Tout ce que je voulais en retour, c'était un peu de mon bonheur. Un repas de temps en temps avec ma famille, me réveiller dans les bras de mon compagnon... Avoir ce bébé... Pourquoi n'y avais-je pas le droit ? Pourquoi devait-on m'arracher cette part de moi qui me donnait tant de joie ? Pourquoi me punir ? N'avais-je pas le droit, à un peu de bonheur ? N'avais-je pas le droit à un peu de normalité ? J'étais dévastée. Il m'arrivait de pleurer n'importe quand, sans raison apparente. Combien de fois Killian m'avait-il enlacé alors que je m'étais soudainement mise à pleurer ? Beaucoup étaient déstabilisés, ne sachant pas ce qui déclenchait mes larmes, pensant que le moindre mot mal placé pouvait conduire à une crise et ils n'avaient pas tort, car à la vérité, un rien pouvait déclencher mon agonie. Le rire d'un bébé chez Granny's, un vêtement de la même couleur que le dernier body que j'avais acheté en prévision de la naissance de Liam, le prénom de notre fils que j'entendais prononcé à la radio ou à la télévision... Des choses les plus prévisibles aux choses les plus anodines...
J'avais fini par cesser de bouger, rêvant de ne plus rien voir, de ne plus rien entendre, de ne plus rien ressentir... Je détestais voir toutes ces choses que nous avions récoltées pour l'arrivée de bébé et qui traînaient ça et là dans l'appartement, me rappelant douloureusement que Liam ne serait jamais là pour les utiliser. Je détestais les voir, mais je ne pouvais me résoudre à les enlever de là où ils étaient, même le body floqué du pavillon noir, tombé par terre à côté du canapé. Ma mère avait voulu le ramasser le lendemain de mon retour à la maison, alors qu'elle était venue prendre de mes nouvelles. Je l'avais pratiquement mise dehors, lui hurlant de ne toucher à rien et surtout pas aux affaires du bébé. Je n'avais laissé personne toucher à quoi que ce soit, pas même Killian... pas même moi. Je savais où chaque chose se trouvait et je pouvais devenir folle si le moindre biberon, le moindre vêtement ou le moindre jouet changeait de place. Je voulais que le temps s'arrête, que la réalité ne me rattrape jamais et j'étais presque convaincue que si l'enterrement n'avait pas lieu, si personne ne touchait au moindre objet dans la maison, alors Liam ne serait pas mort. J'étais hors du temps, dans un étrange songe entre le cauchemar et la réalité et peut-être que si je fermais les yeux assez fort et que si je me concentrais assez, alors la vérité resterait loin de cet appartement, loin de nous, loin du monde réel...
Killian s'approcha, m'obligeant à ouvrir les yeux lorsqu'il posa un baiser sur ma joue, me demandant si j'étais prête. Il avait presque fallu me contraindre à l'habillement, ce matin. Je n'avais pas voulu mettre cette horrible robe noire. Je n'avais pas voulu mettre mes chaussures. Killian m'avait répété plusieurs fois que je devais me préparer, Henry m'avait pris par la main pour m'obliger à rejoindre la salle de bain, avant de retourner chez Regina pour se préparer lui-même, j'étais restée sous l'eau de la douche des heures durant, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau chaude, jusqu'à ce que l'eau soit trop froide pour que j'y reste une seconde de plus, ma peau brûlant sous la morsure glacée.
Je fermais les yeux, de nouveau, me pressant dans les bras de Killian, secouant lentement la tête de gauche à droite. Non. Non, je n'étais pas prête. Le serais-je seulement un jour ? Non, je n'étais pas prête et je ne voulais pas y aller. Je refusais de bouger d'ici, de sortir de cet appartement et d'affronter pour réalité que mon fils n'avait jamais vécu en ce monde. Que la douleur dans mon ventre n'était pas l'unique résultat d'un accouchement difficile par voie naturelle, mais aussi celui de la perte. Les larmes coulaient silencieusement le long de mes joues, flot intarissable d'une douleur que je ne savais décrire, que je ne pouvais qualifier.
M'accrochant aux bras de Killian, je fermais les yeux, essayant de le retenir le plus longtemps possible dans cette position, d'arrêter le temps, juste encore quelques instants. Annuleraient-ils si nous ne venions pas ? Abandonneraient-ils l'idée d'avancer ? De continuer de vivre ? Décideraient-ils de stopper le temps, à nouveau, comme lorsque la malédiction était en marche, pour que jamais plus un jour ne passe ?